Références :
Beausoleil NJ, Mellor DJ, Baker L, Baker SE, Bellio M, Clarke AS, et al. “Feelings and fitness” Not “Feelings or fitness”-The Raison d’être of conservation welfare, which aligns conservation and animal welfare objectives. Frontiers in Veterinary Science 2018;5. https://doi.org/10.3389/fvets.2018.00296.
Clegg ILK, Delfour F. Can we assess marine mammal welfare in captivity and in the wild? Considering the example of bottlenose dolphins. Aquatic Mammals 2018;44:181–200. https://doi.org/10.1578/AM.44.2.2018.181.
Linklater WL, Gedir J v. Distress unites animal conservation and welfare towards synthesis and collaboration. Animal Conservation 2011;14:25–7. https://doi.org/10.1111/j.1469-1795.2010.00399.x.
McMahon CR, Harcourt R, Bateson P, Hindell MA. Animal welfare and conservation, the debate we must have: A response to Draper and Bekoff (2012). Biological Conservation 2013;158:424. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2012.10.027.
Papastavrou V, Leaper R, Lavigne D. Why management decisions involving marine mammals should include animal welfare. Marine Policy 2017;79:19–24. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2017.02.001.
Bien-être et conservation
Une spécialité du CERSI
PROJETS DU CERSI EN LIEN AVEC LE BIEN-ÊTRE DES CÉTACÉS
Beaucoup d’activités humaines, telles que la pêche et les sources de pollution acoustique (levées sismiques, observation des baleines, etc.) ont un impact tant sur la conservation de l’espèce que sur le bien-être animal. Lorsque des décisions relatives à la législation sur la conservation des animaux marins sont prises, il faut prendre en compte autant les effectifs des populations (nombre de morts avec causes et nombre de naissances) que les impacts non léthaux pouvant affecter leur bien-être. Ceci n’est pas toujours le cas en raison d’une divergence d’opinion entre les conservationnistes et les scientifiques préconisant le bien-être, et de mesures non définies pour évaluer le bien-être de façon précise. (Papastavrou et al., 2017)
Les projets de recherche que mène actuellement le CERSI visent ainsi à évaluer le bien-être des cétacés du Saint-Laurent afin de permettre l’élaboration de mesures efficaces pouvant soutenir et orienter l’élaboration des projets de conservation pour les différentes espèces de cétacés retrouvées au Québec. Par exemple, un projet en cours vise à caractériser et quantifier l’état de bien-être des rorquals communs (Balaenoptera physalus) et à bosse (Megaptera novaeangliae). Des photos sont prises en mer pour identifier les individus et noter les observations sur leur état physique. Des éthogrammes – des descriptions exhaustives des comportements observés – sont aussi réalisés. Un autre volet du projet vise à valider, en laboratoire, une méthode de quantification des biomarqueurs de stress chronique à partir du souffle de ces baleines. Un séquençage des microorganismes retrouvés dans le souffle sera aussi réalisé afin de documenter leur diversité. Ces outils permettront de compléter les mesures comportementales afin de réaliser une évaluation complète du bien-être des rorquals communs et à bosse.
CONSERVATION VS BIEN-ÊTRE
De nos jours, la biologie de la conservation est une discipline importante considérant la liste non exhaustive des espèces en danger ou en voie d’extinction. Par ailleurs, l’état de santé et de bien-être des individus composants ces diverses populations est tout aussi important. Il n’est pas souhaitable d’avoir des populations malades et stressées et pourtant, ce n’est qu’au cours des dernières années que la science du bien-être animal et celle de la biologie de la conservation tentent de se rejoindre. (Linklater and Gedir, 2011) (Beausoleil et al., 2018) La communauté scientifique reconnait qu’il y a un besoin urgent de conduire des recherches sur l’état de santé et de bien-être des individus formant ces populations. (McMahon et al., 2013)
Le bien-être animal est une science multidisciplinaire qui s’intéresse à l’état mental de l’animal durant tous les événements qu’il expérimente au cours de sa vie. (Beausoleil et al., 2018) Il faut voir l’évaluation du bien-être comme un continuum entre les deux extrêmes que sont un mauvais bien-être et un bon bien-être; il se base sur l’équilibre entre les expériences négatives et positives vécues par l’animal. (Clegg and Delfour, 2018)
La conservation est aussi une science multidisciplinaire qui a pour but de garder des individus génétiquement viables et diversifiés pour assurer la reproduction et la survie de l’espèce. Toutefois, les mesures prises pour faire celle-ci sont souvent alignées directement avec ce but, sans toujours considérer le bien-être animal. (Beausoleil et al., 2018)
ÉMOTIONS VS FORME PHYSIQUE
Le bien-être animal est un concept qui est souvent relié aux états affectifs de l’animal, soit les émotions. Les différentes expériences vécues par l’animal sont donc un élément-clé pour mieux comprendre leur bien-être. (Beausoleil et al., 2018) (Clegg and Delfour, 2018)
Souvent, des mesures de la forme physique, telles que des mesures physiologiques et des mesures indiquant l’état de santé (état de chair, poids, état de la peau, niveau de cortisol dans le sang) combinées à des mesures comportementales, sont utilisées pour bien évaluer l’état de bien-être d’un individu. (Beausoleil et al., 2018)
Cependant, des états mentaux comme la douleur ou la faim ont des effets sur certains états physiques et comportements, et vice-versa. Ainsi, les deux concepts sont interreliés et doivent être évalués en concomitance.
De plus, l’approche conservationniste qui se base simplement sur la reproduction de l’espèce ne signifie pas que cette espèce en question a un bon bien-être. Au contraire, un bon bien-être ne signifie pas que l’animal en question va se reproduire et assurer la continuation de l’espèce. (Beausoleil et al., 2018) Le but est d’éliminer la dichotomie entre les émotions et la forme physique, pour créer une unité qui permettra de mieux évaluer le bien-être animal dans des situations qui l’impactent autant de manière positive que négative, incluant la conservation. (Beausoleil et al., 2018)
STRESS-DÉTRESSE
Le stress est généralement considéré comme une réponse à une menace extérieure ayant un impact négatif sur la forme physique, par exemple lors de la présence d’un prédateur. Les mesures utilisées sont souvent comportementales et physiologiques (fréquence cardiaque, paramètres sanguins, etc.). Cependant, cette réponse peut aussi se faire dans des contextes neutres ou même positifs, comme lors de la reproduction, la chasse ou la migration. (Linklater and Gedir, 2011)
Ainsi, pour contrer l’ambiguïté du stress, un nouveau concept a été développé : la détresse. Cela se définit comme le coût biologique d’une accumulation de stress qui produit des conséquences négatives sur la forme physique de l’animal (allostasie déréglée et processus pathologiques). (Linklater and Gedir, 2011) La détresse est un point extrême du stress physiologique qui peut être identifiée lorsque des fonctions de base comme la reproduction, la réponse immunitaire ou l’alimentation ne se font plus, par exemple. Nous pouvons ainsi inférer qu’un animal en détresse subira des expériences émotionnelles négatives qui reflètent un mauvais bien-être. (Beausoleil et al., 2018)
Néanmoins, une absence de mesures physiologiques ou comportementales indicatives d’un stress ne signifie pas nécessairement une absence d’expériences émotionnelles négatives. De plus, différentes expériences émotionnelles peuvent affecter plusieurs mesures de la forme physique. Ainsi, il n’y a pas de mesures de détresse clairement établies pour évaluer en même temps une forme physique moindre et un état affectif négatif. (Beausoleil et al., 2018)
C’est pour cette raison que le bien-être est une science multidisciplinaire qui ne peut se baser uniquement sur les mesures de stress ou sur le concept de la détresse. Trois composantes ont donc été proposées pour le mesurer, soit le comportement (social, solitaire, de jeu, etc.), la cognition (comment les états mentaux affectent le jugement, les connaissances et les apprentissages) et les mesures physiologiques (niveau de cortisol dans le sang, etc.), car celles-ci reflètent et influencent toute la réponse émotionnelle. C’est en unifiant ces composantes qu’un accord entre le bien-être et la conservation pourra se faire. (Clegg and Delfour, 2018)
ÉVOLUTION
Pour le moment, l’évaluation assidue du bien-être des animaux dans un contexte de conservation se fait seulement dans les institutions zoologiques. Elles ont un rôle d’éducation du public et de conservation des espèces, et possèdent des principes et des méthodes précises pour évaluer le bien-être au niveau individuel. Il y aurait donc un potentiel de collaboration entre les scientifiques de zoo, de conservation et de bien-être pour améliorer les conditions de la recherche en faune. (Beausoleil et al., 2018)
Encore aujourd’hui, le bien-être peut être oublié lors de la conservation. Le but de la conservation étant de sauver l’espèce, les lois sont souvent élaborées en fonction du nombre de morts qu’une population peut subir avant qu’elle ne soit considérée en danger et axées sur comment garder des individus aptes à la reproduction. Plusieurs questions doivent encore se poser pour améliorer et caractériser le bien-être en conservation, par exemple : « Comment les relocalisations d’animaux peuvent-elles impacter leur bien-être? », « Comment limiter les impacts des activités humaines et des nouvelles technologies dans le but de prévenir et non de sauver? », etc. (Papastavrou et al., 2017)